Comme les évènements se précipitent et que vous avez témoigné de l’intérêt à la suite de mon premier récit, je poursuis mon travail de reporter terrain ;) Comme vous l’avez sans doute vu car ça a fait les gros titres des médias pas mal partout, Blaise Compaore a démissionné hier. Les manifestants crient et chantent leur victoire. Mais l’après Blaise Compaore, comment ça se dessine? 27 ans au pouvoir, ce n’est pas évident de passer par-dessus ça. Surtout que 60% de la population burkinabè a moins de 25 ans, donc n’a rien connu d’autre. Bref, beaucoup d’incertitudes demeurent encore à l’aube de cette première journée sans Blaise à la tête du pays.
Depuis que je suis confinée à domicile, je dois
vous avouer que je n’en ai pas vraiment profité pour avancer mon travail, mais
je suis plutôt rivée sur mon écran, la radio fonctionnant en parallèle. Quand
un parle du Burkina, je baisse le volume de l’autre. J’essaie aussi de suivre
par internet et j’appelle mon informateur terrain pour tâter le pouls de
Ouagadougou… Les mêmes nouvelles tournent en boucle, mais parfois, quelques
petites informations supplémentaires permettent tranquillement de me faire un
jugement. Mais ce n’est pas vraiment évident de prévoir la suite. Aujourd’hui,
2 militaires se sont autoproclamés à la tête du pays. Traoré, chef d’État-major,
est celui qui se réclame à la tête depuis jeudi soir, mais il n’est pas très populaire
auprès du peuple qui le considère trop près de l’ancien président. Zida, numéro deux de la garde présidentielle, a fait une apparition publique, devant le peuple,
à la Place de la Révolution (grande place centrale où tous les manifestants se réunissent). Le fait
de se présenter devant les manifestants et de leur affirmer qu’ils avaient un
pouvoir de décision sur la suite et qu’on allait leur présenter chaque décision
qui était prise pour avoir leur approbation, a évidemment séduit la foule qui a
applaudi à chaque mesure proposée. Une de ces mesures pour la transition était
toutefois la suspension de la Constitution… ce qui m’amène quand même quelques
soupçons. Donc, Zida est un peu plus populaire auprès du peuple. Mais celui que
le peuple aurait voulu était le Général Lougué à la retraite. Ce dernier avait été
congédié, il y a plusieurs années, par Blaise Compaore qui craignait alors l’organisation
d’un coup d’État. Mais depuis jeudi, on n’a plus rien entendu à propos de
Lougué, donc je ne pense pas qu’il soit encore dans les négociations. À
travers tout ça, les représentants de la société civile et les chefs des partis
de l’opposition essaient de se frayer un chemin dans les discussions, mais ce n’est
pas évident. La société civile semble aussi se diviser en deux. Ceux qui réclament
le rétablissement de la Constitution et un civil à la tête de l’organe de
transition et ceux qui acceptent le rôle de l’armée dans la transition.
Il faut, encore ici, comprendre le contexte
historique du Burkina Faso. Un soulèvement populaire de la sorte avait eu lieu,
en 1966, pour renverser le Président alors en poste. Une transition avait été
opérée par l’armée qui, depuis, n’a jamais quitté le pouvoir. Blaise Compaore
étant un militaire et n’ayant jamais cessé de l’être malgré ses 27 ans au
pouvoir. En 2011, une certaine révolte des militaires avait vraiment remis en
question le Président Compaoré qui se considérait pourtant beaucoup plus proche de ses
militaires que de ses députés. Il avait alors justifié cet acte par le fait que
de nouveaux militaires, jeunes et moins bien formés venaient de joindre les
rangs. Il a fait du ménage, nommé Traoré comme chef d’État-Major (d’où l’inquiétude
du peuple de le voir diriger la transition) et s’était lui-même nommé Ministre
de la défense. Donc vous comprenez maintenant que l’armée a toujours dirigé d’une
certaine manière le pays et que, malgré la perception négative qu’on peut avoir
de ça en Occident, il s’agit peut-être aujourd’hui de la façon la plus efficace
de ramener l’ordre dans le pays et de rapidement organiser des élections
démocratiques. Je n’ai pas pour le moment de position là-dessus, je suis encore
en réflexion et je laisse les choses s’organiser un peu pour en juger
objectivement. Au moment où je vous parle, les deux hommes forts, soit Traoré et
Zida, sont en train de discuter pour trouver un terrain d’entente. On dirait
que je viens d’entendre en direct que ce serait Zida qui serait officiellement à
la tête du pays, mais j’attends encore le communiqué officiel pour en être
certaine.
Donc vous comprenez que le portrait politique
est très confus et que personne ne peut prédire la suite. Blaise Compaore a
exprimé une volonté en démissionnant, soit l’organisation d’élections
démocratiques dans les 90 jours. Si Zida est bien l’homme fort du moment, il m’a
paru sincère dans sa volonté d’impliquer la société civile et l’opposition dans
la conception de la période de transition. Mais j’attends de le voir concrètement
pour le croire.
Sinon, la vie reprend son cours tranquillement.
Hier je suis allée tâter le pouls de la ville à Banfora. La plupart des
boutiques, les stations d’essence et les services publics sont fermés. Mais les
restos et les maquis (petits bars en plein air) sont ouverts pour la plupart et
certaines femmes vendant fruits et légumes sont sorties. Mais le grand marché
était pas mal désert. J’ai quand même pu me réapprovisionner avant de retourner
dans mon confinement. À Ouagadougou, il y avait un festival qui a
tenté de maintenir ses activités, mais vers 23h les militaires sont venus
demander aux gens de rentrer pour respecter le couvre-feu qui était encore en
vigueur. Comme il y a eu énormément de saccage et de pillage, les forces de l’ordre
vont avoir besoin de quelques jours pour que tout redevienne calme. Ils ont
même fermé les frontières terrestres temporairement. Aujourd’hui, un appel à
tous a été fait et des centaines de femmes et d’hommes, jeunes et moins jeunes,
sont sortis, balais à la main, pour nettoyer la ville de tous les dégâts causés
par les émeutes. Le principal mouvement de la société civile qui a été derrière
le soulèvement populaire, « le balais citoyen », affirme : « hier
on a balayé le président, aujourd’hui il faut balayer la ville »! La
mobilisation a été assez efficace et barrages routiers, pneus brûlés, carcasses
de voitures calcinées ont été dégagés. Beaucoup de curieux se sont rassemblés devant les
maisons d’anciens proches du président qui ont été incendiés. Certains
tentaient même de récupérer certaines pièces comme souvenir ou pour fabriquer
des gris-gris.
Donc voilà, la vie va tranquillement reprendre
son cours. Une information live, pendant que je vous écrivais, vient d’être
dite à la radio : le chef d’État-Major Traore a signé un communiqué
affirmant que « Le lieutenant-colonel Issac Zida a été retenu à l'unanimité pour
conduire la période de transition ouverte après le départ du président
Compaoré ». Je ne
change pas le message précédent pour quand même vous donner une idée en temps
réel de la confusion qui régnait ce matin ;)
Cette confusion était inévitable car
honnêtement, personne ne pouvait prévoir la rapidité des évènements. Il y a
moins d’une semaine, les gens manifestaient seulement pour éviter que le Président puisse se
représenter aux élections l’année prochaine. Aujourd’hui, le pays se retrouve
sans Président. Blaise Compaore n’avait évidemment pas préparé sa succession, d’où
son intérêt de briguer, au moins, un nouveau mandat. Donc les choses s’organisent
de la manière qu’elles peuvent. Mais le peuple des hommes intègres est en train
de tracer le chemin pour beaucoup d’autres peuples africains qui aspirent à une
meilleure démocratie. Il faut faire confiance aux uns et aux autres et tous
ensembles, reconstruire le pays.
Je vous réécris dans quelques jours pour vous
raconter comment s’organise la transition et peut-être… vous parler un peu plus
de Thomas Sankara, père de la révolution burkinabè dans les années 1980, qui
aujourd’hui, doit être plus que fier de voir que les enfants de ceux qui l’ont
suivi ont aujourd’hui écouté son enseignement et poursuivi son travail.